Le débat pour savoir s'il est bon ou non de s'entraîner l'estomac vide représente le gouffre qui existe entre ce que la science nous dit à propos des mécanismes de la forme physique, et ce que la tradition accepte comme « vérités ».


Pour clore ce débat, il nous faut comprendre qu'à chaque fois que nous demandons à nos muscles de fournir un effort, un certain nombre de systèmes complexes, et qui se chevauchent, entrent en fonctionnement. Ces systèmes s'entrelacent, ce qui ne fait qu'ajouter à la confusion. Pour les simplifier, les démêler, et arriver ainsi à une réponse définitive, nous allons aborder le problème à partir de trois éléments simples qui sont toujours impliqués dans le processus d'activation musculaire :
-les muscles
-le carburant (sous forme d'adénosine-triphosphate, ou ATP)
-l'oxygène.

A chaque fois que nos muscles entrent en fonction, ces trois éléments se combinent pour alimenter différents processus chimiques dont l'efficacité est déterminée par nos performances cardiovasculaires et aérobies, notre diète, notre masse graisseuse et notre qualité musculaire.

Bien évidemment, sans oxygène, rien ne se passe. Cependant, il n'y a pas toujours suffisamment d'oxygène disponible à l'intérieur du corps pour que les muscles s'activent au mieux, d'où l'existence d'une réaction anaérobie.

Activité anaérobie

Demandez à votre corps de fuir une horde de zombies, de soulever une charge lourde, ou de sauter par-dessus un pont en train de s'écrouler : vos muscles vont passer à la vitesse supérieure et réagir. Cette réponse instantanée est rendue possible par le glycogène stocké dans nos muscles, qui, moyennant un processus nommé glycolyse, peut se décomposer en pyruvate, lui-même converti en Adénosine Triphosphate (ATP), en dioxyde de carbone, et en eau. L'ATP est ce qui sert de carburant aux muscles.

A moins que vous n'ayez pris la peine d'hyperventiler auparavant, il n'y a à ce moment pas assez d'oxygène dans votre sang pour alimenter le processus. C'est pourquoi le cycle de Cori, également connu sous le nom de cycle de l'acide lactique, entre en jeu : votre corps fonctionne alors de manière anaérobie (autrement dit, sans avoir besoin d'oxygène). Durant ce processus, de l'acide lactique est produit par le corps, ce qui permet aux muscles de continuer de fonctionner même après l'épuisement de leurs réserves d'ATP. Les fibres musculaires qui s'activent alors sont de type IIB : des fibres à action rapide, qui peuvent produire une grande quantité de force, mais ne peuvent opérer que par brèves explosions avant de fatiguer.

Ce sont des muscles très utiles pour échapper à la horde de zombies, ou réagir au plus vite en situation d'urgence, mais qui ne peuvent pas soutenir une activité intense au-delà de quelques minutes.

Activité aérobie

Vous continuez votre entraînement, et votre température corporelle augmente à cause de l'effet thermique de l'activité musculaire. Vous respirez plus profondément, de façon plus saccadée, vos poumons se gonflent, et chaque inspiration délivre plus d'oxygène dans votre flux sanguin, que le cœur pompe vers les groupes musculaires qui en ont le plus besoin.

Lorsque l'oxygène entre en scène, le cycle de Krebs, aussi appelé cycle de l'acide citrique, se met en marche. Le cycle de Krebs se sert des glucides, des graisses et des protéines, et les transforme en glycogène, qui peut ensuite être décomposé en pyruvate (par glycolyse), pour produire notre cher ATP, du dioxyde de carbone, et de l'eau. Ce cycle produit également du lactate, que le corps utilise ensuite pour transporter le glucose du foie, où il est stocké, vers les muscles.

Les fibres musculaires qui rendent ceci possible sont de type I. Ce sont des fibres à contraction lente, qui ont un temps de réponse lent, ne produisent pas une force monstrueuse, mais sont très résistantes à la fatigue. Dans votre fuite de la horde zombie, ces muscles entreraient en fonction à un moment où vous auriez mis un peu de distance entre elle et vous, tourné à l'angle de la rue, et ralenti un peu, en inspirant le plus d'air possible : vous êtes essoufflé, et vos muscles fonctionnent à présent de manière aérobie.

La présence d'oxygène dans le sang signifie que le corps commence à utiliser le carburant (glycogène) stocké dans le foie, essentiellement des glucides. Si vous continuez à courir un peu plus longtemps, le corps épuisera cette ressource et commencera à utiliser les réserves de graisses qu'il a stockées.

Activité anaérobie, le retour!

Supposons qu'après avoir échappé aux griffes des zombies, vous décidez que votre meilleure chance reste encore de quitter la ville : par conséquent, vous continuez de courir. Votre respiration change alors. Votre rythme d'ingestion d'oxygène devient moins précipité, et votre respiration, plus égale. Vos inspirations sont toujours profondes, mais aussi plus mesurées. Les coureurs et les pratiquants d'arts martiaux appellent ceci le « second souffle ». Le corps, à ce moment, continue d'absorber de grandes quantités d'oxygène, mais les muscles fonctionnent principalement de manière anaérobie.

Les fibres musculaires en activité sont à présent de type IAA. Elles sont modérément résistantes à la fatigue, peuvent fonctionner de manière anaérobie sur une longue période, et peuvent produire une force importante : c'est pourquoi vous pouvez soudain accélérer votre course, après avoir un peu ralenti pour reprendre votre souffle. Ici, les cycles de Cori et de Krebs sont tous deux en fonction.

Le corps est à la recherche de plus grandes sources de carburant : ce sont les réserves de graisses, qui sont alors converties en glycogène, qui peut être transformé en ATP, lactate, acide lactique, eau et dioxyde de carbone. Si votre fuite devant la horde zombie tourne au marathon, et que vos réserve de graisses ne suffisent pas, votre corps va se mettre à la recherche de protéine à transformer en glycogène pour alimenter sa course.

C'est là cependant une mesure de dernier recours. Les protéines (autrement dit, le muscle) ne sont pas la meilleure source de carburant pour le corps, étant donné qu'entre 20 et 30% de leur valeur en énergie sont utilisés à leur conversion ; de plus, par ce procédé, le corps cannibalise ses propres muscles, ce qui compromet sa survie à long terme. Le corps n'utilisera de protéine pour s'alimenter que si l'« alerte famine » se met à sonner. De plus, cela ralentit le métabolisme, et rend un entraînement vigoureux virtuellement impossible : vous ne risquez donc guère d'expérimenter ce phénomène en salle de sport, ou pendant votre fuite face aux zombies.

S'entraîner à jeun – possible ou non ?

C'était en effet la question que nous nous posions au début de l'article, et, au vu des processus à l’œuvre dans le fonctionnement musculaire, la réponse est incontestablement oui. Des études montrent que l'on peut courir au rythme d'un marathon pendant deux heures avant de tomber à court de glycogène, et un article paru en 2010 dans le Journal of Science and Medicine in Sport a montré que des cyclistes qui s'exerçaient à jeun, tôt le matin, augmentaient leurs réserves musculaires de glycogène jusqu'à 50% de plus que ceux du groupe qui déjeunait avant l'entraînement.

On peut trouver d'autres sources qui montrent que s'entraîner à jeun rend le corps plus sensible à l'insuline, ce qui lui permet de mieux utiliser le glycogène présent dans le sang. De plus, il y a pour les athlètes un autre avantage, à savoir que lors d'un entraînement à jeun, le sang ne va pas alimenter le système digestif, et ne va donc qu'aux muscles qui en ont besoin.

Alors, pourquoi toute cette confusion ? Eh bien, il reste un ou deux points à mentionner.

De l'art du timing

Une étude, publiée en septembre 2008 dans le Journal of Physiology and Pharmacology, a mis au jour le fait que les sujets qui s'entraînaient à jeun, puis allaient se coucher sans manger présentaient une réparation et une croissance musculaires ralenties, même lorsqu'ils consommaient suffisamment de calories au lever. Cela s'explique par le fait que l'hormone de croissance humaine (HCH), qui a un effet anabolique et dont le taux augmente pendant le sommeil, est contrecarrée par des hormones cataboliques comme le cortisol, le glucagon, ou l'adrénaline, qui envahissent le corps lorsque nous nous entraînons à jeun. La même étude montre également que ceux qui n'ont pas l'habitude de l'exercice, en général, ne devraient pas s'entraîner à jeun sous peine d'étourdissements, de tournis, voire de nausée résultant d'un bas niveau du sucre dans le sang, ce qui est dû en général au manque d'efficacité dans la décomposition de la graisse et du glycogène dans leur corps.

Pour finir de montrer à que point le timing est important, l'étude la plus récente menée par l'université de Northumbria, au Royaume-Uni, montre qu'il est possible de perdre jusqu'à 20% de graisses supplémentaires en s'entraînant le matin avant le petit-déjeuner.

Prise de masse et sèche en question

Que dire alors des larges preuves empiriques de la perte de masse musculaire que constatent les culturistes lors de leur phase dite de « sèche » ? Et bien, regardons ce que les recherches scientifiques nous disent sur ce point. Une étude parue en 1996 sur le sujet a montré qu'un régime de prise de masse, sans exercice, provoquait de par lui-même des changements hormonaux qui permettaient la création de plus de muscle, tout en augmentant cependant la quantité de graisse dans le corps. Un processus complexe de changements dans l'équilibre hormonal se met en place à cause de la diète, qui influe directement sur la capacité des muscles à travailler de manière thermogénique. Pour le dire autrement, durant leur phase de sèche, les culturistes ne s'entraînent pas à la même intensité. Étant une machine adaptative, le corps s'optimise de façon à ne pas avoir à transporter le muscle dont il n'a pas besoin, ce à quoi s'ajoute l'influence d'une diète moins calorique. En culturisme, activité qui consiste précisément à construire le plus de muscle possible dans une visée esthétique, la phase de sèche consiste en un délicat équilibre entre perte de graisse (bien réelle), et perte d'une certaine quantité de masse musculaire, qui a également lieu.

Pour résumer

Ainsi, les grands débutants qui veulent accélérer leurs progrès en s'entraînant à jeun ont tort. De même, les culturistes qui veulent produire un maximum de masse musculaire ne devraient pas s'entraîner le ventre vide. Les athlètes qui s'entraînent à jeun, puis vont se coucher sans manger, ne gagnent pas grand-chose en termes de performance. Pour tous les autres, s'entraîner à jeun, le matin avant le petit-déjeuner ou plus tard dans la journée, et manger ensuite, ne présente aucun problème, et devrait délivrer des résultats plus rapides dans la réduction de masse graisseuse et l'augmentation de la masse musculaire.

 

Sources

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